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Leur histoire : les marins en grève de la faim dans le port de Tilbury

Actualités 29 Jun 2020

Après quatre mois sans salaire et 48 heures sans nourriture, 47 marins abandonnés au Royaume-Uni cherchent désespérément à rentrer dans leur pays pour retrouver leur famille.

Ces gens de mer, majoritairement indiens, composent l’équipage du paquebot Astoria. Mi-juin, ils ont commencé une grève de la faim pour être payés et rapatriés, après des semaines de vaines supplications auprès de leur employeur.

Avec leur grève de la faim, les choses se sont accélérées. La direction de la société Cruise and Maritime Voyages (CMV), qui gère l’Astoria, a donné l’assurance aux marins que leurs revendications seraient entendues.

Ensuite, les autorités portuaires britanniques, chargées du contrôle par l’État du port, sont montées à bord et ont immobilisé le paquebot, soupçonnant des violations de la Convention du travail maritime. Les garde-côtes sont intervenus et ont immobilisé l’Astoria et quatre autres navires CMV dans les ports de London Tilbury et Bristol Avonmouth. Les autorités ont été alertées et sont intervenues avant que la société puisse donner l’instruction à l’Astoria de revenir vers son port de rattachement au Portugal, d’où les perspectives de rapatriement des gens de mer seraient très faibles.

Ces 47 marins font partie des plus de 200 000 gens de mer qui, de par le monde, sont prisonniers de leurs navires et dans l’impossibilité de rentrer chez eux à cause de la pandémie de Covid-19. Au total, ce sont 1 449 marins abandonnés par CMV dans les ports de Tilbury et Bristol à bord des paquebots Astor, Astoria, Columbus, Magellan, Vasco da Gama et Marco Polo. Ceux-ci sont originaires d’Indonésie, d’Inde, de Birmanie et de l’île Maurice, entre autres.

Astoria_CMV

À l’impossibilité de descendre à terre et de rentrer chez eux à cause de la crise de relève des équipages s’ajoute le fait que CMV ne leur verse pas leur salaire, sans aucune explication.

L’un des membres d’équipage, Arjuna (nom modifié), qui a participé à cette grève de la faim, a expliqué que les salaires ont cessé d’être versés dès le début de la pandémie. CMV a dû abandonner son tour du monde alors que les navires se trouvaient en Indonésie début mars. C’est également à ce moment-là que les envois de fonds aux familles restées au pays ont cessé.

L’épouse d’Arjuna vit en Inde. Ingénieure diplômée, elle n’a cependant pas de travail, et vit avec sa belle-mère, qui gagne un peu d’argent en faisant des ménages. Toutes deux se demandent quand il rentrera à la maison.

Comme beaucoup de gens de mer, Arjuna est le soutien de famille, et ce depuis son tout jeune âge, son père étant décédé quand il n’avait que quatre ans. Pour subvenir aux besoins de la famille, Arjuna a travaillé dans l’hôtellerie avant de devenir marin en 2007.

« Je m’inquiète pour ma famille » a-t-il indiqué. « J’ai peur que, une fois de retour dans mon pays, il n’y ait pas de travail. Mais si la société me paie tous les salaires qu’elle me doit, nous aurons assez d’argent pour survivre pendant cinq ou six mois. »

Arjuna explique que bon nombre de ses camarades sont en bien plus mauvaise posture : « Certains ont de gros emprunts à rembourser, et d’autres n’ont pas les moyens d’acheter les médicaments nécessaires à leur famille. ».

Qui sont ces gens de mer ? Que craignent-ils, et depuis combien de temps se battent-ils ?

La correspondance transmise à la Fédération internationale des ouvriers du transport révèle que le silence de leur employeur les pousse au désespoir. Début juin, l’un des marins a écrit : « Nous avons désespérément besoin d’un soutien financier… Nous nous inquiétons beaucoup pour nos familles, qui dépendent presque exclusivement de nous pour les emprunts, l’éducation des enfants et les frais médicaux. »

Dans cette correspondance, l’employeur n’explique pas pourquoi il a cessé de payer les salaires, ce qui laisse à penser que la société pourrait se trouver en difficulté financière. L’équipage de l’Astoria a vu dans la presse que l’opérateur du navire, CMV, n’avait pas réussi à obtenir un prêt de 25 millions de GBP de la banque Barclays la semaine dernière. Arjuna pense que la société utilise leurs salaires pour rester à flot.

Nous écrivant depuis le navire, un membre d’équipage explique : « Pour la plupart d’entre nous, notre contrat est terminé et notre salaire n’est pas versé. Pour quelle raison ? Tout ce qu’on nous dit, c’est qu’ils font de leur mieux ». « Le problème, c’est que cela fait plus de trois mois. Pourquoi faut-il autant de temps ? Nous ne savons pas vraiment si la société essaie réellement de nous rapatrier. »

L’urgence de cet appel à l’aide ne découle pas uniquement du besoin de rapatriement, des salaires non versés et de l’absence de communication. Cet abandon a des répercussions dramatiques sur le bien-être physique et psychologique des gens de mer. Un homme d’une quarantaine d’années, le premier cuisinier, est décédé d’une crise cardiaque. Certains membres d’équipage sont maintenant à court de médicaments. L’un d’eux a même tenté de se suicider, et ses camarades craignent que d’autres fassent de même.

De plus en plus inquiets et à la recherche de réponses, les membres d’équipage de l’Astoria ont ouvert des comptes Gmail et Twitter et publié une vidéo sur YouTube. Ils ont interpellé directement les premiers ministres indien et britannique sur Twitter : « Écoutez-nous… Nous avons besoin d’aide avant qu’il y ait d’autres morts. Sauvez des vies. Aidez-nous à rentrer chez nous et à revoir nos familles ».

Cet appel à l’aide sur les réseaux sociaux a eu un fort retentissement. Le Guardian, la BBC, et Sky se sont empressés de réaliser des reportages sur cette grève de la faim. Quel était le message de ces gens de mer abandonnés ? Et comment la société CMV comptait-elle leur apporter une solution ?

Publiquement, la direction de CMV a donné l’assurance qu’elle collaborait avec les autorités britanniques et indiennes pour affréter un vol de rapatriement. Tous les salaires seraient versés, a-t-elle assuré. Concernant les rapatriements, elle a expliqué que la fermeture des frontières du fait de la pandémie de Covid-19 compliquait les choses. Mais à quel point a-t-elle vraiment essayé ? Et quand précisément a-t-elle l’intention de verser les salaires ?

« C’est la SOCIÉTÉ [emphase placée par le déclarant] qui vous ramènera chez vous, mais nous avons besoin de l’autorisation d’atterrissage de votre gouvernement pour les compagnies aériennes. Nous pensons que cela sera désormais possible. » a écrit un responsable CMV dans des courriers électroniques à l’équipage transmis à l’ITF.

Les marins sont sceptiques. En particulier à propos de l’argent qui leur est dû. Arjuna explique qu’il s’inquiète surtout pour sa famille, car celle-ci n’a plus d’économies et qu’il ne peut plus lui envoyer de fonds.

« Si je savais que de l’argent était envoyé à ma famille, cela ne me dérangerait pas de rester un peu plus longtemps à bord, en attendant qu’on nous trouve un vol pour rentrer chez nous » a indiqué Arjuna. 

L’ITF vient en aide à l’équipage de l’Astoria depuis quelques semaines maintenant, celui-ci étant principalement représenté par son affilié italien FIT-CISL. L’ITF intervient auprès de la société et des ambassades des pays des gens de mer pour organiser leur rapatriement.

L’Inspecteur de l’ITF Liam Wilson est monté à bord de l’Astoria et des autres navires CMV après leur immobilisation, pour prendre des nouvelles des équipages et les mettre en relation avec les services d’aide. Liam est soutenu par le Superviseur de la coordination du Corps d’inspecteurs de l’ITF, Finlay McIntosh, qui est également en contact avec les équipages.

« Les esprits s’échauffent » constate McIntosh. « Si la société ne fait rien ou ne s’engage pas à verser au moins une partie des salaires, la situation pourrait dégénérer très rapidement et gagner d’autres navires. Nous verrions alors des milliers de gens de mer passer à l’action dans le port de Tilbury, à Londres, au Royaume-Uni, et les marins bénéficieraient à juste titre du soutien des autres travailleurs, de la population et des médias. »

 « Bien évidemment, les équipages sont à bout et veulent rentrer chez eux pour revoir leurs familles » a expliqué McIntosh. « Mais ils ont averti qu’ils n’hésiteront pas à mener d’autres actions si l’employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles. Nous sommes ici pour les aider à faire ce qu’ils pensent être nécessaire pour être payés, quitter le navire et rentrer chez eux. Ils ont tout notre soutien » a-t-il expliqué.

L’équipage de l’Astoria dialogue maintenant avec la direction de CMV. Les cinq navires immobilisés se trouvent à proximité du terminal de passagers de Tilbury, mais les équipages ne descendront pas à terre tant qu’ils n’auront pas reçu tout l’argent qui leur est dû. Refuser de quitter un paquebot coûtant des millions de dollars est l’un des leviers les plus importants à leur disposition. Et ils pourraient à nouveau décider d’une grève de la faim. »

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